Le pli du psy

PSYCHOLOGUE, UNE PROFESSION EN DANGER ?

Aujourd’hui je vais vous parler différemment de vous, différemment de la crise sanitaire, différemment de l’accès aux consultations chez un psychologue. 

Pour cela je vais m’appuyer sur l’article qui vient de paraître au « Journal des Psychologues » de ce 23 mars 2021, parce que c’est toute notre profession qui se retrouve aujourd’hui en émoi et mobilisée.

L’article rédigé par Valentine Legoux-des-Mazery, psychologue s’intitule « L’accès aux soins psychologiques en danger. Quelles conséquences sur la profession ? » Et avant de parler des conséquences, il est primordial de situer de quel(s) danger(s) parte-t-on actuellement ? 

De nombreux articles et réactions apparaissent tous les jours pour éclairer cette question, médias et réseaux sociaux ; je citerai celui paru quelques jours après, le 31 mars dans le journal Marianne, et rédigé par Frédéric Tordo, psychologue clinicien, docteur en psychologie clinique, et Caroline Fanciullo, psychologue clinicienne « Les psys, premières lignes oubliées du Covid ». 

Ils rappellent en premier lieu que depuis le début de la crise sanitaire « à leur niveau, et pendant toute la durée de la crise, les psychologues se sont montrés très impliqués, et responsables ! Ils se sont fortement mobilisés pour assurer une continuité dans les soins psychiques pour les patients qu'ils recevaient déjà, et pour les milliers d'autres qui avaient besoin d'être accompagnés : dans les institutions, dans les cabinets, et par la création de multiples plateformes de soutien et d'accompagnements psychiques. » Effectivement, les psychologues ont très tôt tiré la sonnette d’alarme sur les conséquences psychiques des mesures liées à la crise sanitaire, et des nouvelles vulnérabilités qui sont apparues. 

Mais alors, vers quoi allons-nous de si dangereux, patients ou clients (j’utilise l’un ou l’autre terme indifféremment à la demande des personnes que je reçois), et psychologues en cabinet libéral ?

 

De la liberté d’accès en cabinet libéral au parcours de soin médical

L’article présente la création d’un « parcours de soin » reposant principalement sur une approche médicale, et dans leur écrit F. Tordo, et C. Fanciullo le résument : « Une expérimentation a débuté, dans les Bouches-du-Rhône, la Haute-Garonne, Les Landes et le Morbihan. Un rapport de la Cour des comptes, publié le 16 février 2021, a validé cette expérimentation, en préconisant un remboursement généralisé à tout le territoire des psychothérapies assurées par des psychologues psychothérapeutes libéraux. Ce projet déclare : d’une part, que des séances d’accompagnement seront remboursées à hauteur de 22 euros la séance, sans possibilité de dépassement d’honoraires, avec un temps de séance (30 minutes) décidé par l’Assurance maladie, et sous prescription médicale. D’autre part, que ces consultations pourront être reconduites, toujours sous prescription médicale, à raison de 10 séances supplémentaires de 45 minutes, remboursées à hauteur de 32 euros la séance, toujours sans dépassement. »

Force est de constater qu’il manque des psychologues à l’hôpital, en CMP (les Centres Médico-Psychologiques permettant l’accès aux soins psychiques pour les personnes les plus modestes), dans l’éducation nationale… et ce ne sont pas aux psychologues libéraux de pallier ces manques que nous déplorons.

La situation en cours étant inacceptable, un manifeste a été créé et se diffuse actuellement pour l’accès à des soins psychiques de qualité et dans le respect des patients et des psychologues : #manifestepsy

Je vous invite également à visionner les explications éclairantes de Maximilien Bachelart, psychologue, via une vidéo Youtube « Remboursement de la psychothérapie, bonne ou mauvaise idée ? »

 

Des conséquences pour les psychologues libéraux ET les patients

Il est important de rappeler au public qu’un psychologue/psychothérapeute est un professionnel formé et diplômé à minima d'un Bac+5/Master en psychologie, parfois d’un Doctorat ; ses méthodes d'intervention sont liées à son orientation pratique (intégrative, psychodynamique, comportementale et cognitive, systémique, etc.), qui donne un cadre nécessaire au patient/client pour entrer dans un processus de changement. Cette formation plurielle garantit à la personne d’être appréhendée dans sa complexité (son histoire, celle de ses traumatismes, ses potentiels d'adaptation, etc.). De plus, le psychologue entretient tout au long de la carrière ses compétences et les développe par de nombreuses formations aux techniques en psychothérapie. 

L’efficacité de la démarche thérapeutique réside en grande partie sur la relation qui s’établit au fil du temps avec le patient/client, ce que l’on nomme « l’alliance thérapeutique ». Le patient/client s’engage dans la démarche, il doit se sentir en confiance et en phase avec son thérapeute et les méthodes qu’il choisit pour l’accompagner ou l’aider. Il y a une grande diversité de personnes venant en consultation, comme une grande diversité dans les méthodes et formes de psychothérapies employées par les professionnels.

S’il existe une variété de professionnels et de pratiques ou approches, le devoir d’un psychologue réside également dans l’adressage vers un confrère/consœur plus approprié(e) ou spécialisé(e), voire vers un médecin lorsque la situation se présente, ce que fait déjà naturellement le psychologue libéral, lorsqu’il sent que le patient/client serait mieux accompagné, appréhendé et soigné par un autre professionnel.

 

Is my psychologist rich ?

L’article du Journal des Psychologues d’expliquer que « les tarifs de remboursement sont basés sur la rémunération d’un psychologue de la Fonction publique hospitalière. Si ceux-ci sont déjà malheureusement peu valorisés dans leur expertise, prétendre appliquer cette rémunération à un professionnel libéral dénote d’une ignorance de la réalité ! Ce dernier doit s’acquitter d’importants frais inhérents à son exercice (soit 50% de son chiffre d’affaire, parfois plus), au contraire du psychologue salarié : charges sociales, loyer, congés, assurances, retraite, formations […] » (à savoir plusieurs centaines à plusieurs milliers d’euros pour chaque formation). 

A noter que dans certains secteurs géographiques, les psychologues ont déjà beaucoup de mal « à joindre les deux bouts » contrairement à certaines idées reçues ! Ces nouvelles conditions financières imposées asphyxieraient le psychologue libéral, qui devrait alors prendre des personnes « à la chaîne » pour espérer survivre. Ce n’est ni souhaitable pour le patient/client ; ce n’est pas plus souhaitable pour le professionnel non plus, ainsi malmené dans son éthique, son Code de déontologie et sa propre charge mentale et émotionnelle.

Comme je l’évoquais déjà plus haut, la profession de psychologue est règlementée. Une profession est dite réglementée lorsque l'accès et l'exercice sont subordonnés à la possession d'une qualification professionnelle spécifique, c’est-à-dire qu’elle est soumise à une condition de diplôme. Selon l'INSEE, les professions libérales réglementées représentaient en France en 2010 un peu plus de 110.000 entreprises. Si le terme « cabinet » renvoie immédiatement dans l’imaginaire collectif à l’univers médical, d’autres professions règlementées exercent également au sein de « cabinets », et justifient eux aussi d’une formation à minimum Bac+5 : on y retrouve les avocats, huissiers, architectes, courtiers en assurance… Et aucun de ces professionnels n’accepteraient d’être rémunérés pour leur expertise professionnelle à 22€ la consultation, consultation prédéfinie dans sa durée, son cadre, les méthodes employées, ni n’accepteraient de bafouer leur propre Code déontologique.

Pour mémoire le Code de déontologie des psychologues garantit dans son contenu « responsabilité et autonomie dans les méthodes, et un accès libre et indépendant au professionnel ». De plus comme le précise l’article, « les psychologues sont rattachés au Ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche, et non au Ministère de la santé. Pourtant, les dispositifs aujourd’hui mis en avant vont dans le sens d’une « paramédicalisation » forcée du métier, ce qui, avec ses contraintes, entraveraient nos actions et notre efficacité ».

Les psychologues s’opposent donc à ce qui leur est imposé, d’abord pour une raison éthique, dans la mesure où le projet ne respecte pas le Code de déontologie du psychologue, qui se doit d’exercer en toute responsabilité et autonomie. Cette responsabilité professionnelle prend également en compte l’accès libre et indépendant du patient/client vers le psychologue.  La seconde raison est économique et sociale : ces conditions de remboursement sont non seulement maltraitantes, mais totalement en inadéquation avec la réalité financière et procédurale d’une prise en charge chez un psychologue en libéral. 

 

Voir le médecin traitant pour être remboursé avant de voir un psychologue ?

Jusqu’à présent l’accès au psychologue en cabinet libéral est libre. Certaines mutuelles remboursent tout ou partie des consultations, sur la base d’un forfait annuel et en fonction du contrat souscrit. 

L’obligation de prendre rdv préalablement chez un généraliste, tel que cela est envisagé, alourdirait la démarche de consulter pour certaines personnes. Pour d’autres, leurs besoins ou attentes ne correspondent pas à un passage devant le médecin traitant, et envisagent encore moins de « justifier » leurs besoins à leur médecin, cela serait tout simplement hors de propos, hors champ. Au contraire, dans le dispositif que l’on tente de nous imposer, le psychologue deviendrait un exécutant sous tutelle médicale, à qui on impose un cadre, un temps de séance, un programme de consultations. C’est donc en premier lieu les patients/clients qui feront les frais de ce projet abusif, ce qui est tout aussi inacceptable pour les psychologues.

Parallèlement il est intéressant de relever qu’un certain nombre de compagnies d’assurances ou mutuelles annoncent qu’elles sont de plus en plus nombreuses à rembourser les « médecines douces ou alternatives » à leurs assurés. A titre d’exemple la Fédération Française de Sophrologie sur son site, liste les mutuelles qui remboursent des séances de sophrologie, des « pack bien-être » ou des séances de médecines complémentaires… ce qui n’implique pas pour ces professionnels de passage par le médecin traitant.

 

Je suis psychologue. 

Il serait regrettable pour avoir ou retrouver plus de liberté, d’éthique, de respect et de confort d’utiliser à l’avenir un autre terme pour désigner mon métier, par exemple m’intituler « psychopraticien », « coach » ou autre. Nonobstant, le psychologue est reconnu comme étant un acteur de soins sans être une profession de santé. D’où certains amalgames. Le psychologue doit avoir un numéro ADELI à l’ARS[1], mais a un numéro APE[2] encore flou qui ne le différencie pas d’autres professionnels non-universitaires (psycho praticiens, hypno praticiens, énergéticiens, coachs, etc…). Ces acteurs professionnels que je respecte profondément ne font pas le même métier, avec la même approche clinique, et partagent d’ailleurs cette distinction. Pour autant, je peux également avoir un réseau d’adressage envers ces autres professionnels, des contacts, des échanges, cela en bonne intelligence. Nous pouvons avoir des actions complémentaires, mais nous sommes d’accord pour dire que nous ne faisons pas le même métier, et que nous n’avons pas la même formation.

En tout cas il n’est pas question pour moi de recevoir les personnes toutes les 20 minutes ou demi-heures, à un tarif indigent, et ce n’est pas non plus le souhait des personnes que je suis en consultation.

J’ai suivi, et je suis encore des formations spécifiques, onéreuses et pointues sur des méthodes thérapeutiques, j’adhère à une fédération de psychologues praticiens et thérapeutes internationale (AFICV), et je suis supervisée par d’autres psychologues. 

Ce que je suis est aussi ce avec quoi je travaille, et avec quoi je soutiens et aide la personne qui vient me voir en consultation à aller mieux et à reprendre sa vie en main. 

"Science sans conscience n’est que ruine de l’âme" disait Rabelais.

L’avenir très proche nous le dira.

 

---- Marie-Christine Abatte ----

Psychologue & thérapeute

 

[1] ARS: Agence Régionale de Santé

[2] APE : Activité principale exercée

Signature de M-Christine Abatte