Depuis plusieurs semaines déjà, les prospectus et spots publicitaires nous ont tirés de nos chaises longues et siestes estivales pour sonner le moment de la reprise du travail ou des cours ; fournitures scolaires, blousons et équipements de sport remplissaient depuis fin août nos boîtes aux lettres alors que l’été était encore là. Et déjà, questionnements, projections anticipatoires, ruminations, inquiétudes, le mental et sa machine à pensées reprenaient du service.
C’est la rentrée, une période pour se projeter dans les semaines ou mois à venir, réfléchir à ce que nous souhaitons vivre en cette nouvelle année qui commence, particulièrement après ces 18 mois éprouvants, insolites et interminables de la crise sanitaire. Sans être scolaire ou universitaire, nous avons conservé en nous cette trace, ce rythme dit « scolaire », un cycle qui correspond à celui des saisons et rythmes de la nature.
« C’est la fin de l’été » chantait Françoise Hardy « je ne suis plus la même, […] qu’y a-t-il de changé ? »
Fruits mûrs
En effet, après l’équinoxe de printemps qui réveille les rythmes biologiques comme les projets, puis le solstice d’été, où arrive à maturité les fruits et les réalisations, nous nous dirigeons vers l’équinoxe[1] d’automne (ce prochain mercredi 22 septembre 2021 à 21h21).
Dans certaines cultures ancestrales, comme la culture amérindienne, les équinoxes et les solstices sont des moments de charnière saisonnière, de changement de modes _ pensées et comportements _ dont la nature peut éclairer le sens : L’équinoxe d’automne « suit la période des moissons, des récoltes, des vendanges, et précède celle de la chute des feuilles[2]", Certaines personnes sont d’ailleurs sensibles à ces passages d’intersaison qui leur procurent un flottement émotionnel inconfortable. Pour d’autres, l’équinoxe d’automne est une période de maturité, là où nous sommes possiblement mûrs pour faire évoluer notre approche de la vie, nos comportements, pour changer de perspectives, voire de logiciel. En cette période de rentrée, j’ai eu envie d’ouvrir ma boîte à outils de thérapeute et de présenter la thérapie ACT.
Acceptation et engagement
L’ACT (Acceptance and Comitment Therapy) a été développée aux Etats-Unis par Steven C. Hayes de l’Université du Nevada, Kelly Wilson de l’Université du Mississipi et Russ Harris en Australie. Ce courant fait partie de la troisième vague des Thérapies Cognitives et Comportementales, ou TCC.
L’acceptation et l’engagement, sont les 2 mots-clés de cette approche thérapeutique, car elle dégage 2 axes fondamentaux :
- Accepter ce que l’on ne peut changer, ce qui est hors de contrôle,
- S’engager vers des comportements et des actions qui vont vers ce qui est important pour nous.
La thérapie ACT utilise des stratégies d’acceptation et de pleine conscience. Ces techniques nous apprennent à rétablir une relation plus saine avec nos pensées, à accueillir les émotions et sensations corporelles comme des messagères utiles, sans plus être redoutées ou évitées.
L’efficacité de l’ACT est reconnue scientifiquement dans le soulagement des troubles anxieux, les troubles obsessionnels compulsifs, la dépression, les douleurs chroniques, le stress professionnel[3]…
De la rigidité à la flexibilité
La rigidité psychologique, c’est l’impossibilité ou la grande difficulté à changer (« Je le sais, mais c’est plus fort que moi ! »). Sortir de ce cercle vicieux commence par observer nos stratégies d’évitement pour nous débarrasser des émotions, pensées et sensations difficiles, par lequel nous espérons ne plus revivre ces moments douloureux. Si les comportements d’évitement peuvent parfois se retrouver fonctionnels (comme prendre de l’aspirine pour éliminer des maux de tête), d’autres deviennent plus problématiques que les expériences douloureuses qu’ils cherchent à dominer (la fuite chez une personne phobique, la consommation de substances pour éliminer des affects négatifs…).
Destructrices à long terme, ces stratégies sont efficaces à court terme pour apporter un soulagement plus ou moins grand.
Dé-fusion des fusions
Lucille était fatiguée en rentrant vendredi soir ; et malgré le voyant orange de sa jauge de carburant, elle a préféré rentrer pour se reposer, se disant qu’elle ferait le plein avant d’aller travailler lundi matin. Oubliant qu’elle devait se rendre plus tôt à son travail ce lundi-là, elle arrive en retard, à cause de son passage à la station-service. « Quelle idiote ! Mais quelle gourde ! » se dit-elle, elle s’invective, ses tempes se serrent, elle a mal à la tête ; elle est vraiment en colère après elle-même, se disant qu’elle a été négligente et qu’elle aurait pu éviter tout cela. A se demander si elle est vraiment à la hauteur de cette nouvelle mission que son responsable vient de lui confier. « Je ne suis pas concentrée, si j’oublie tout, je vais tout faire échouer ».
Lucille fusionne avec sa pensée (moi = idiote, moi = gourde, moi = oublie tout, moi = échouer), et se laisse gouverner par elle ; elle devra travailler cette « expérience » pour amener dans la conscience la pensée (Quelle idiote ! Quelle gourde !), l’émotion (colère contre soi), la sensation corporelle (tempes qui serrent, mal à la tête).
Quand on applique son modèle de pensée au « mot-à-mot », on finit par s’y conformer, de façon automatique, comme une vérité absolue. C’est la fusion avec nos pensées. Nous avons tendance à confondre nos pensées avec la réalité, et certaines de nos pensées sont douloureuses car elles sont empreintes de jugements ou de souvenirs d’expériences pénibles. S’il existe des confusions entre nos constructions intérieures et le monde extérieur, force est de constater que nos interprétations sont parfois assez éloignées de la réalité objective[4].
Schoendorff[5] nous le démontre très simplement : Pensez à un fruit bien mûr et juteux, une pêche par exemple ; vous faites l’expérience sensorielle directe du fruit mûr qui vous fait immanquablement saliver. Maintenant imaginez une pêche pourrie, cette expérience sensorielle là vous soulèvera probablement le cœur… Autrement dit certaines pensées ou images peuvent acquérir les mêmes fonctions et forces que l’expérience directe, et provoquer les mêmes réactions.
Le mode de pensées et comportements automatique est souvent lié au concept de soi (« Je ne suis pas intéressant », « on va se moquer de moi », « je suis trop maladroite » …). Ces croyances statiques sur/de soi, construites de manière excessive, amènent à se comporter de façon à valider et confirmer ces vérités fabriquées. Prendre conscience de ce qui se déroule en nous permet de ramener ces éléments à la conscience, les interroger, de défusionner avec ces pensées automatiques et inconscientes.
La boussole pour s’orienter vers ce qui est important pour soi
Le thérapeute formé à l'ACT, aide à défusionner des fonctionnements récurrents, appris, cristallisés, dont le but était l’évitement de l’inconfort ou de la douleur, des émotions source de déplaisir voir de souffrance. Car cet évitement de situations finit par éloigner l’individu de ce qui compte vraiment pour lui, l’amenant vers plus de frustration et de souffrance. En somme, il s'agit d'un mécanisme verrouillant.
Nous ne sommes pas nos pensées, nos émotions, nous avons une pensée qui dit ceci ou cela, nous ressentons une émotion de (peur, colère, tristesse…) qui nous indique qu’une action est nécessaire.
« Qu’est-ce qui est vraiment important pour moi ? » De ce type de questionnement nous pouvons définir de nouvelles orientations, des actions d’engagement vers nos valeurs pour remplacer les actions d’évitement qui nous en éloignaient. En résumé, la flexibilité psychologique, c’est l’aptitude à entreprendre des actions importantes pour soi, même en présence d’événements psychologiques perçus comme négatifs.
L'ACT favorise la flexibilité en accompagnant chaque individu à volontairement accepter ses émotions, ou pensées « négatives », (re)créer une distance d’observation, pour avancer vers ce qui compte vraiment pour lui, en fonction de ses contextes de vie. L’objectif à atteindre et développer est « la flexibilité psychologique et comportementale », c’est-à-dire la capacité de changer, d’ajuster ses comportements afin de pouvoir initier et tenir dans l’instant présent les actions déterminantes pour soi.
La thérapie ACT permet passer de la réaction à l'action, de sortir du système de pensées habituel et rigide, désenclencher le mode « pilote automatique » et reprendre les commandes manuelles. C’est réinvestir l’énergie en la concentrant vers les évolutions et les changements souhaités. « Embrasser l’inconfort d’exister, au lieu de s’épuiser à tenter d’échapper à sa propre expérience, et donc dégager l’énergie qui permettra de se rapprocher de ce qui compte réellement pour soi. » (Dr François Bourgognon et Dr Claude Penet, psychiatres et psychothérapeutes).
---- Marie-Christine Abatte ----
Psychologue & thérapeute
[1] Définition astronomique précise la conception préscientifique selon laquelle l'équinoxe est le moment où la durée du jour est égale à celle de la nuit.
[2] « Aux rythmes de notre Terre-Mère », Catherine Sorolla Menassieu, éd. Trajectoire.
[3] « La thérapie d’acceptation et d’engagement », Bourgognon F., Penet, C. Editions Que sais-je ?
[4] Bourgognon, 2019
[5]Schoendorff et alii, 2011