Le pli du psy

ETUDIANTS, ENTRE MALAISE ET FALAISE

Du lycée à la fac, c’est le même discours : flottement et incertitude, un malaise diffus empreint de résignation, les étudiants de l’année 2020-2021 ne savent plus très bien pour quoi ils travaillent.

De nombreux psychologues, soignants, accompagnants et associations alertent depuis plusieurs mois sur cette détresse de la jeunesse. Le Ministre de la santé lui-même d’indiquer fin novembre « qu’un tiers des étudiants ont présenté des signes de détresse psychologique » durant le premier confinement. 

Certains syndicats étudiants font un constat plus alarmant encore, en effet selon l'enquête publiée en juillet 2020 « Les jeunes face à la crise : l'urgence d'agir » de la FAGE[1], il semblerait que « deux tiers des étudiants ressentaient le besoin de se confier à quelqu'un, d'être écoutés, et que 23 % ont eu des pensées suicidaires[2] ». Une potentielle « bombe à retardement sociale et humaine » selon certains présidents d’universités. 

La période de confinement liée au Covid-19 a fragilisé la jeune génération : près des trois quarts d’entre eux déclarent avoir été impacté au niveau psychologique, affectif ou physique (73%), une proportion nettement plus importante que la moyenne de la population.

En plus de la démotivation, certains jeunes connaissent d’importantes difficultés financières et matérielles, voire un basculement dans la précarité. 

Les cours en présentiel dans les universités ne devraient pas reprendre avant février 2021.

Entre isolement, perte de motivation, décrochage, et souffrance psychologique, l’année universitaire s’annonce à haut risque pour beaucoup d’étudiants.

 

Une ascension difficile

Depuis le deuxième confinement, apparait (enfin) une prise de conscience des dangers pour la santé mentale de la génération étudiante. Une enquête du Centre National de Ressources et de Résilience[3] publiait en octobre dernier des chiffres inquiétants, selon lesquels 16,1%[4] se sentaient en dépression, 22,4% en détresse sévère, 24,7% en stress important, et 11,4% avaient même des idées suicidaires. En effet, certains jeunes ont du mal à payer leur loyer, se soigner, se chauffer, se nourrir correctement. Pour d’autres, c’est le projet d’orientation qui est revu à la baisse.

Selon le syndicat étudiant, près des trois quarts des 18-25 ans déclarent avoir rencontré des difficultés financières au cours des trois derniers mois (74%). Payer les charges liées à leur logement (54%), avoir une alimentation saine et équilibrée (53%) ou encore, pour les femmes, acheter des protections hygiéniques (32%) ont été difficiles au cours des trois derniers mois. Pour les jeunes en recherche d’un emploi, la situation est tout aussi tendue, car c’est la contraction du marché du travail qui les préoccupe, la fragilisation du travail temporaire et des « jobs », ce qui va accroître plus avant les situations de précarité, et creuser incontestablement les inégalités. Pour les jeunes exerçant une activité professionnelle, 72% ont vu leur activité salariale impactée réduite ou interrompue au cours des trois derniers mois. Si cette situation a été temporaire pour 33% d’entre eux, elle a été définitive pour près d’1 sur 10 (9%). Une situation encore plus compliquée pour les étudiants puisque 42% l’ont vu interrompue partiellement, et 14% de manière définitive (Source FAGE).

 

Tenir prise

Pour autant, les étudiants plus chanceux et soutenus par leur famille ne sont pas en situation de confort, tout en partageant la situation de leurs camarades moins favorisés. « Nous ne pouvons rien changer à la situation, mais peut-être il faudrait apporter une meilleure aide économique et sociale envers les étudiants », propose Luca. « Des primes plus importantes, mais aussi agir directement sur l’organisation universitaire pour faciliter les étudiants ». 

D’un point de vue de l’organisation des cours, près de 2 étudiants sur 5 (18%) se sont déclarés insatisfaits de ce qui s’est passé pendant le confinement. Pour une très grande majorité, les étudiants évoquent en premier lieu des raisons liées à leur établissement (pas de cours proposés, pas de mise en place de plateformes, pas d’échanges avec les enseignants, etc.) (79%). Pour une part non négligeable d’entre eux (53%), le confinement a été rendu difficile par des raisons matérielles non appropriées (problèmes de connexion 42% problèmes d’équipements 31%, ou encore un environnement de travail peu adapté 31% (Source FAGE). Luca[5] précise que « les outils d’accessibilité ne nous permettent pas toujours de suivre les cours et d’être correctement évalués. L’interaction n’est pas du tout facilitée, les professeurs ne sont pas très à l’écoute, eux-mêmes en difficulté face à la situation sanitaire ». Loan précise que « c’est aussi difficile pour les travaux de groupe, pendant les confinements, on a des rythmes de vie très variables, ce qui freine la coordination ».

 

Peur de la chute

Beaucoup d’étudiants évoquent la peur de la chute, de la rupture du parcours universitaire ou scolaire. Malgré les efforts déployés par les établissements, plus de 8 étudiants sur 10 déclarent que le confinement a provoqué un décrochage de leurs études (84%). Ce qui s’accompagne d’une inquiétude partagée par près d’un étudiant sur 2, celle de voir leur diplôme être dévalorisé (45%) (Source FAGE). Comme Mia qui redoute de ne pas finir son parcours étudiant et confie « On n’est pas assez écouté, quand on leur expose nos problèmes de suivi, j’ai peur de décrocher de mes études à cause de tout ça, j’ai plus le gout d’apprendre ». 

La moitié des étudiants déclare avoir vu son projet d’orientation et professionnel pour l’année 2021 impacté (52%), soit parce qu’il aura pris du retard (23%), qu’il aura été stoppé de manière définitive (9%) ou qu’il aura évolué différemment (Source FAGE). Gaël confie « ce qui m’inquiète c’est d’avoir un moins bon niveau que les étudiants des années précédentes, et d’avoir plus de difficultés pour les années suivantes ». Thomas déplore lui « des professeurs qui préfèrent parfois nous « fliquer » plutôt que d’essayer de comprendre les difficultés des étudiants. […] Ma principale inquiétude est de savoir si je vais réussir mes partiels ou avoir d’aussi bonnes notes que si je passais mes examens en présentiel ».

Loan précise qu’il « y a une rupture de contact avec les professeurs et les universités, on a beau avoir des cours et des mails, ça ne remplace pas les discussions à la fin du cours ». Et d’ajouter que « la plus grande difficulté est le manque de contact social. Même si on est confiné avec quelqu’un et que tout se passe bien, son seul contact ne suffit pas et il manque le contact de personnes différentes, nombreuses, pas toujours les mêmes ! »

 

Soutenir l’esprit : préparation mentale et performance

La préparation mentale fait partie de la boite à outils du psychologue, empruntée à la psychologie du sport et de la performance. Les psychologues du sport étudient les liens et les rapports de cause à effet entre les facteurs psychiques et la performance sportive. Le terme de « préparation mentale » qualifie l'ensemble des techniques existantes utilisées afin d'améliorer le niveau de performance d'un sportif, voire un athlète de haut niveau. La préparation mentale s’adresse généralement aux sportifs en difficulté ou en perte de confiance, ceux qui ont besoin de (mieux) gérer leurs émotions, et d’améliorer leur concentration par la visualisation, la relaxation, l’imagerie mentale… Utiliser les apports de la psychologie du sport et de la préparation mentale pourra intervenir pour développer :

  • La motivation : L’ensemble des forces qui poussent une personne à s'investir et à éprouver le plaisir dans les performances.
  • L’estime de soi : La perception d'une personne de sa propre valeur. Il s'agit du jugement global qu'elle porte sur elle-même.
  • La détermination : La capacité à agir avec résolution pour atteindre un objectif à court ou à long terme.
  • La confiance en soi : La faculté de croire en soi, en ses capacités.
  • L’autonomie : La capacité à se débrouiller seul, quelles que soient les circonstances.

 

Il est aussi intéressant de travailler sur d’autres axes complémentaires :

  • L'audace : La capacité à oser et à prendre des risques.
  • La lucidité : La capacité d'analyser avec objectivité et exactitude une situation et planifier ses objectifs.
  • Le contrôle de soi : La capacité à maîtriser ses émotions et ses comportements (y compris la gestion de la pression et du stress)
  • La rigueur : La capacité à s'imposer un haut niveau d'exigence.
  • La combativité : La capacité à lutter quelles que soient les circonstances.
  • La concentration : La capacité à focaliser sa pensée sur un objectif précis en s'isolant du monde extérieur.
  • La récupération mentale : Prévenir l’usure psychologique.

 

Enfin, comme beaucoup de sportifs qui se fixent des buts à long terme, les étudiants ont parfois du mal à gérer leurs efforts sur de longues amplitudes, et en l’absence de cadre spatio-temporel structurée spécifique aux études. Comme Theo l’explique « j’ai déjà été confronté à l’isolement pendant ma PACES. Ce qui est difficile c’est de conserver un emploi du temps fixe et de resté motivé. Il faut continuer de communiquer, garder un contact social avec ses proches, et ne pas perdre de vue son objectif  ». 

Il est fondamental d’apprendre à décomposer le travail en objectifs à court terme, avec des priorités, une organisation hiérarchisée et un calendrier. « [Les confinements], c’est un moyen de prendre du recul sur nos choix, s’introspecter ; et puis cela apprend à travailler en autonomie et à utiliser les outils numériques » (Théo). En effet les trois quarts des étudiants se déclarent satisfaits de la place occupée aujourd’hui par le numérique dans leur parcours scolaire (73%), pour une grande majorité d’entre eux, à long terme, elle devrait continuer s’accentuer (79%) (Source FAGE). 

 

Utiliser l’art guerrier et la « Voie du rocher »

Je ne résiste pas à recommander la lecture d’un ouvrage aussi profitable qu’intéressant : « La Voie des guerriers du rocher »[6] d’Arno Ilgner. Beaucoup de grimpeurs amateurs et professionnels de l’escalade l’ont déjà dans leur bibliothèque. Il s’agit d’un livre-programme d’entrainement mental et une philosophie de l’escalade, tirée de la tradition guerrière et de sa littérature. 

Cet ouvrage n’incite bien entendu pas au combat ou à l’agressivité ; il tire profit d’applications pacifiques d’anciennes traditions martiales utilisées dans les séminaires de préparation mentale pour pratiquants chevronnés de l’escalade. Il n’est pas question de technique ou de force physique, mais d’utiliser la combinaison de la psychologie du sport et de la littérature guerrière pour mobiliser l’ensemble des ressources du mental. « Nos habitudes mentales érigent des barrières superflues et souvent […] privent nos performances de toute vitalité. Prendre la décision d’étendre sa conscience est l’un des fondements de la Voie des guerriers du rocher. […]. Il nous faut prendre conscience de nos processus mentaux, qu’ils soient subtils, ignorés, cachés ou négligés. Nous avons tendance à nous fier à ce qui est confortable, connu et sûr. […] Prendre conscience de ces processus est la première étape pour comprendre comment ils affectent notre performance ». L’ouvrage liste un programme en sept processus : La prise de conscience, la subtilité, l’acceptation de ses responsabilités, donner, choisir, écouter et enfin le « parcours ».

Se concentrer sur le parcours, non la destination est un des principes tirés de ce livre. Selon Ilgner, « on a tendance à vouloir s’extraire au plus vite d’une situation stressante ». Pour le grimpeur, le risque est constant, et il est même la raison d’être de la pratique de l’escalade. Le stress peut pourvoir une position pour soit apprendre soit à contrario « s’abandonner à des pensées inhibantes […], dilapider son attention par des pensées négatives ou une propension aux souhaits ».

 

La crise que nous traversons est composite : de sanitaire, elle a évolué en une crise sociale et économique, qui perdure. Fracture numérique, espace de travail non adapté, décrochage, démotivation et perte de sens, difficultés financières… les risques et écueils sont nombreux, l’impact de la crise est lourd pour la population étudiante de cette année 2020. Cette crise, comme la pratique d’un sport dangereux, confronte à autant de situations périlleuses : « La clé est d’accepter la nature chaotique de l’expérience que nous vivons pour y accorder toute notre attention. […] Se focaliser sur une destination favorise l’apparition d’une forme d’angoisse liée à la « réussite » et à « l’échec ». Les mots réussite et échec sont entre guillemets car un guerrier ne les emploie jamais. Il ne conçoit pas le résultat de son effort en ces termes. Son but provisoire est peut-être d’arriver au sommet […] mais il réalise en réalité un objectif plus élevé : apprendre. Le guerrier ne sait quel résultat final lui garantira le plus grand apprentissage ».

 

Une escalade de l’intérieur.

 

---- Marie-Christine Abatte ----

Psychologue & thérapeute

 

[1] FAGE : Fédération des Associations Générales Etudiantes, une organisation étudiante représentative, reconnue par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche.

[2] Enquête IPSOS.

[3] Enquête CN2R publiée le 23 octobre dernier, consacrée à l’impact du confinement de mars 2020 sur la santé mentale des étudiants.

[4] Sur 70 000 répondants

[5] Micro-trottoir auprès d’étudiants du supérieur de Montpellier, novembre 2020. Les prénoms ont été modifiés.

[6] Arno Ilgner, « La Voie des guerriers du rocher. Préparation mentale pour grimpeurs ». Les Editions du Mont-Blanc, 2013. ISBN 978-2-36545-011-9

Signature de M-Christine Abatte