Le pli du psy

UNE DEPRESSION « SANISONNIERE » ?

Il s’agit plus d’un néologisme qu’une faute de frappe. En effet, entre la crise sanitaire créée par la pandémie, la morosité ambiante qui en découle, et l’entrée dans la saison « triste », l’automne 2020 s’annonce particulièrement déstabilisant pour le plus grand nombre d’entre nous, sur le plan émotionnel et psychologique.

Depuis le changement d’heure, les jours raccourcissent et la nuit arrive plus tôt, le soleil se voile, le mauvais temps s’installe. Nous avons l’impression de voir de moins en moins la lumière, les températures baissent progressivement, les feuilles tombent. 

Chaque année, c’est un français sur dix[1] qui souffre du manque de luminosité naturelle et de la baisse de vitamine D qui en résulte sur l’automne et l’hiver. 

Les symptômes à caractère dépressif durant cette période correspondent à ce que l’on nomme la « dépression saisonnière ».

Mais cet automne-hiver 2020 s’annonce bien plus pesant, puisqu’aux troubles saisonniers vont se superposer les effets du deuxième confinement et du contexte de crise sanitaire mondiale.

 

Pressions et dépressions

Dans les symptômes communs de la dépression « classique » et de la dépression « saisonnière », nous retrouvons : Une baisse sensible de l’énergie et de la motivation, de la tristesse et des troubles de l’humeur, une fatigue durable et un sommeil peu réparateur, une diminution de la libido et un isolement social.

Un épisode dépressif classique entraine également l’apparition d’idées « noires » à morbides, une capacité décisionnelle amputée voire empêchée, et la diminution de la recherche de plaisir. 

La différence avec la dépression saisonnière se situe au niveau somatique ou neuro-végétatif : si la dépression « classique » entraine une perte de l’appétit et de poids, avec une diminution du sommeil, la dépression « saisonnière » provoque à contrario une augmentation de l’appétit, avec une appétence particulière pour les graisses et le sucre, une prise de poids, ainsi qu’une envie de dormir plus longtemps qu’à l’accoutumée[2]. Nous ressentons plus ou moins ces perturbations saisonnières en fonction du degré de sensibilité personnel ; ces phénomènes sont désagréables, mais à cela rien d’anormal.

Cependant, en cette période de deuxième confinement, les choses se compliquent : les mesures de restrictions sociales et sanitaires, la crise économique et le climat dépressiogène majore la baisse de moral transitoire. Pour le chercheur en psychologie sociale Christophe Haag  « en temps normal, on a une pensée négative toutes les deux secondes, en ce moment, elles arrivent en continu et avec une plus grande intensité ; elles s’ancrent plus durablement dans le cerveau. » Effectivement, la diffusion quasi permanente sur les médias d’actualité et les réseaux sociaux des nouveaux chiffres de contaminations, des nouvelles mesures, restrictions, voire sanctions, des informations et données, tout cela épuise le moral et empêche de se reposer. La charge émotionnelle augmente, en fréquence et en intensité, « les émotions toxiques viennent consommer le potentiel d’attention qu’on ne peut alors plus mettre dans d’autres tâches[3]». La charge mentale[4] et émotionnelle, les ruminations, frustrations ou les sentiments d’empêchement et d’injustice, entrainent une chronicisation de l’état de fatigue : Nous devons veiller à éditer une attestation de déplacement, prendre un masque, surveiller les distances entre les individus rencontrés, respecter les mesures barrière, sans parler de la gestion concernant les enfants et leur scolarité[5]… Le cerveau sature.

 

Confinement rose 

Le confinement d’avril avait permis à certains de profiter de leur jardin et de la nature, des fleurs, du jour jusqu’à presque 22 heures ; des barbecues, des bains de soleil, de la piscine, du jardinage, du bricolage et de la pâtisserie, du sport et des jeux de plein air, ou tout simplement de l’air et de la lumière du printemps. Pour d’autres, le confinement de mars-avril était empreint d’opportunités, faire des activités avec ses enfants, passer du temps avec eux, son conjoint, se laisser porter par des journées à rallonge sans la pression des horaires et du temps. 

D’aucuns ont avoué s’être redécouverts eux-mêmes, leur famille, leur couple. Favorablement ou défavorablement… Pour d’autres encore, la centration sur soi a favorisé une redéfinition des priorités, des valeurs, de ce que l’on voulait vivre dans ce que l’on a appelé « le monde d’après ». De nouveaux projets de vie ont muri, il a été question de déménager, de changer de région, de vie personnelle et professionnelle, de milieu, de contexte, de métier, d’entourage, de voisins, parfois de conjoint, et de se focaliser sur ce qu’il y a d’important. Il y avait aussi de l’enthousiasme à « sauver des vies » en adoptant une attitude responsable, à respecter les mesures et à soutenir les professionnels mobilisés par la crise.

 

Confinement gris

De l’autre versant, les sociologues ont mesuré les tensions et les aggravations des inégalités sociales, la précarité accrue, mais aussi la très conséquente différence entre les français qui possèdent un jardin, un extérieur, et des liens sociaux, avec les français des classes dites « populaires et urbaines », confinées dans de petits appartements, des cités, ou des logements sociaux.

Les économistes et les prévisionnistes ont constaté les dommages de la crise économique, souligné les incertitudes sur l’avenir et l’emploi _ de ce qu’ils qualifient de « plus grande récession de l’histoire moderne de notre pays » _ après les 55 jours du premier confinement national, et plus globalement la crise sanitaire du printemps et ses prolongements d’automne. 

Les psychologues et psychiatres, de leur côté, ont pu observer chez une partie des français, les impacts et les dégâts psychiques du premier confinement et de la période qui a suivi. Le climat anxiogène des confinements est à corréler avec les pertes de repères, tout particulièrement pour les personnes fragiles, favorisant l’apparition et le développement de troubles psychiques qui _ dans un contexte moins délétère _ ne se seraient pas ou peu manifesté. Ces professionnels de santé mentale ont souligné les accroissements de comportements à risques, les consommations accrues de psychotropes, stupéfiants et alcools, les augmentations de cas de violences physiques, morales, ou sexuelles. « Le nombre de personnes touchées par un état dépressif a [d’ailleurs] doublé entre la fin du mois de septembre et début novembre[6] », selon le directeur général de la Santé Jérôme Salomon.

Il a été question depuis des mois de guerre, de dettes, de masques, de mesures-barrière, de confinements, de couvre-feux, de limites, de fermetures de lieux de convivialité et de culture, de commerces et d’entreprises… L’irritabilité, la fatigue et le stress s’installent, les émotions _ la colère, la frustration, l’injustice, parfois l’inquiétude d’être contaminé _ malmènent les esprits, à fortiori chez les personnes les plus vulnérables ou les moins avantagées.

 

Brouillard mental 

En cet automne 2020, nous le remarquons, il est plus difficile de travailler ou télé-travailler, de se concentrer, de mémoriser. Les émotions consomment de l’énergie dans notre cerveau, les sujets de conversation tournent fréquemment autour de l’épidémie, les pensées aussi. Cela impacte forcément les capacités et la productivité.

C’est ce que l’on nomme parfois le « brouillard de cerveau », ou « brouillard mental », une fatigue intellectuelle associée à un sentiment de confusion, de manque de clarté mentale et de concentration. Là encore, les psychologues alertent sur certaines conditions de télétravail et leurs conséquences, s’appuyant sur les constatations du premier confinement[7].  En plus de l’impact sur le moral, de nombreux télétravailleurs se plaignent de douleurs dorsales, d’un mauvais rythme ou qualité de sommeil, une moins bonne hygiène alimentaire, de maux de tête, une lassitude et une fatigue tendue globale. Les conditions et les équipements pas, ou peu adaptés, l’hypersollicitation[8] cognitive du télétravail prolongé et à temps plein, l’utilisation des écrans pour travailler mais aussi pour se divertir, les horaires extensibles, la disparition de la frontière vie personnelle et travail, la saturation informationnelle, voire parfois des préoccupations financières _ tout cela cumulé à l’impact du traumatisme du premier confinement _ le risque de surmenage psychique chez les travailleurs est réel.

 

De nombreux chercheurs en psychologie, psychiatrie, neurosciences se penchent actuellement sur les impacts à moyen et long terme des confinements et restrictions de cette année 2020. 

Les psychologues et professionnels de santé mentale ont été autorisés à poursuivre leurs activités et leurs suivis pendant les confinements[9], en distanciel ou à défaut en présentiel. Leur action a été déclarée indispensable par les autorités pour permettre à chacun de déposer et d’évacuer les inquiétudes et les angoisses. Nous soignons les traumatismes, les stress, les relations, les tensions, les troubles du comportement, les problèmes émotionnels ou existentiels… Quand « la tête est pleine » de pensées, d’émotions, de croyances, d’informations de toutes sortes, il convient de demander de l’aide pour déposer ce que l’on ressent, supporter la solitude, l’isolement, gérer le stress et l’anxiété. S’il existe de nombreuses sources de stress du quotidien _travail, couple, enfants, orientation etc… _ cela se cumule à ce deuxième confinement qui semble plus lourd que le premier. Et les autorités de redouter « la 3e vague, celle de la santé mentale[10] ». 

Être accompagné par un psychologue pour prendre du recul, s’interroger, s’ajuster pour aller de l’avant et sortir de l’obscurité et de la vacuité inédites du moment présent parait indispensable. Cela s’avère d’autant plus crucial en cette période de crise pour se diriger, peut-être, vers une conscience et une « croissance post-traumatique[11] ».

 

---- Marie-Christine Abatte ----

Psychologue & thérapeute émotionnelle

 

[1] https://sante.lefigaro.fr/actualite/2015/10/16/24227-depression-saisonniere-touche-personne-sur-10

[2] Source : https://www.lareponsedupsy.info/

[3] Citation de Christophe Haag : https://madame.lefigaro.fr/bien-etre/stress-fatigue-difficultes-pour-travailler-impact-de-lepidemie-de-covid-231020-183150

[4] La charge mentale est un terme qui s’est récemment popularisé pour désigner la charge cognitive, invisible, que représente l'organisation de tout ce qui se situe dans la sphère domestique : tâches ménagères, rendez-vous, achats, soins aux enfants, etc. La charge mentale incombe, le plus souvent, en très large partie, aux femmes. Le concept de charge mentale a été introduit en 1984 par la sociologue française Monique Haicault.

[5] Dans le cadre de ce que l’on nomme la « continuité pédagogique ».

[6] De près de 11% des personnes interrogées au début de l'automne, le chiffre a bondi a près de 21%, soit un Français sur cinq concerné. " La crise sanitaire du Covid-19 a révélé la vulnérabilité psychique de nombreux Français", a expliqué mardi soir Jérôme Salomon.  

Parmi les populations les plus touchées figurent notamment les jeunes âgés de 18 à 24 ans, les inactifs ou encore les personnes en difficultés financières. https://www.francebleu.fr/infos/sante-sciences/confinement-nouvelle-vague-de-depression-depuis-un-mois-1605679815

[7] Ce constat concerne en particulier les travailleurs des entreprises moins bien préparées au télétravail, ou chez celles qui n’avait pas ou peu d’antériorité en matière de télé-activité.

[8] Voir les travaux de l’Université de Toulon : https://www.univ-tln.fr/Fatigue-mentale-un-facteur-pouvant-favoriser-les-comportements.html et ceux de l’Université de Liège (Belgique) : https://www.news.uliege.be/cms/c_11737830/fr/sommeil-fatigue-memoire-l-impact-du-confinement

[9] « Suite à l’interpellation du Ministère de la Santé par la FFPP et en cohérence avec les recommandations de notre premier communiqué, F. Bellivier, Délégué ministériel à la santé mentale, et à la psychiatrie nous confirme la possibilité d’ouverture des cabinets de psychologues […] »  Voir aussi SNP Syndicat National des Psychologues www.psychologues.org

[10] Le ministre de la Santé Olivier Véran a visité ce mercredi 18 novembre, une plateforme d'écoute à Paris, destinée aux jeunes de 12 à 25 ans. "Nous voulons éviter une troisième vague, qui serait une vague de la santé mentale pour les jeunes et pour les moins jeunes", a déclaré le ministre à l'issue de cette visite. https://www.rtl.fr/actu/politique/coronavirus-une-troisieme-vague-serait-celle-de-la-sante-mentale-dit-veran-7800925087

[11] Magazine Cerveau & Psycho : https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychologie/peut-on-sortir-renforcee-dun-trauma-20274.php

Signature de M-Christine Abatte