Le pli du psy

RETOUR AU TRAVAIL APRES LE CONFINEMENT : QUE VA DEVENIR LA PAUSE-CAFÉ ?

Nous l’avions évoqué dans de précédents articles, parmi ce qui nous a manqué dans cette période de confinement, il y a aussi ces grands « petits riens » liés au travail comme la pause-café. Et cela nous apparaît aujourd’hui comme encore plus essentiel et structurant, notamment sur le volet social de nos quotidiens professionnels. 

En effet, la plupart des articles rédigés à ce jour sur la place du café et de la pause associée, le classent en véritable rituel social d’entreprise, voire en institution dans de nombreuses organisations françaises.

Les travailleurs en télétravail durant le confinement ont bien sûr fait des pauses-café, mais avaient-elles forcément la même saveur ? 

A l’heure du retour au bureau, sur les chantiers ou autres lieux d’activités professionnelles, que va devenir ce temps si symbolique pendant la durée _ et après _ de l’application de la distanciation sociale, et des gestes-barrière ?

 

Have a break

Si la pause-café en entreprise est à l’origine, « une réaction au taylorisme pour affirmer que l’être humain n’est pas une machine », selon le sociologue Marc Loriol[1], elle signifie globalement faire un « break », une coupure. 

La pause-café est un des moments de la journée professionnelle qui signe le besoin de reprendre des forces en boostant ou en reposant le cerveau et le corps. 

Le Code du travail a d’ailleurs prévu ces pauses, l’article L3121-3 indique qu’un salarié a droit à une pause de 20 minutes toutes les 6 heures de travail[2].

Seul pris au poste de travail ou entre collègues, avec un hiérarchique ou un client, dans un thermos ou au distributeur, le café participe et rythme souvent le quotidien des travailleurs. Il créé du lien et contribue à l’entretenir, favorise l’épanouissement des équipes, la pause-café est un espace-temps où se noue et se créé des liens comme des conflits, des rencontres et des contrats, des potins comme des informations officielles.  Le café représente un support pour de nombreux échanges sociaux dans et hors entreprise, en effet, « le travail a besoin d’intégrer une dimension sociale, pour renforcer le sentiment d’appartenance à un groupe », explique Marc Loriol.

 

Une pratique rituelle

Dans les pratiques sociales de l’entreprise, le café est souvent positionné comme un « rituel » informel, essentiel à la vie en communauté. Le café est associé à la notion de cohésion sociale, de groupes, d’équipes, mais aussi à l’équilibre et à la stabilité de ceux-ci. 

La pratique rituelle du café, quel que soit le type d’entreprise, possède un sens symbolique (Lardellier[3], 2013). En service ou à 3-4 collègues, ces pratiques découpent et rythment la vie des individus au travail, facilitent la mise « au diapason[4] » des comportement à avoir _ ou ne pas avoir _ et la captation d’informations déterminantes à connaitre. Par cela, elles font partie intégrante du travail, de l’activité.

Certaines entreprises proposent un espace dédié à ces moments de pause, avec une machine à café automatique, ou procurent simplement une bouilloire et un breuvage caféiné lyophilisé. 

Ainsi, l’offre de boissons chaudes _ qu’elle soit payante, à tarif négocié, ou gratuite _ traduit indubitablement l’expression de la culture d’entreprise. En offrant le café à ses collaborateurs, l’entreprise travaille son image interne. Cet avantage en nature, au même titre que les tickets restaurant ou les véhicules de fonction, est toujours fortement apprécié par les collaborateurs.  

Il existe des pauses-café improvisées ou conduites par le travail lui-même (une réunion entre collègues dans un bureau par exemple), ou plus formalisées, quand les personnels se retrouvent de façon récurrente et aux mêmes heures tous les jours (en général le matin ou l’après-midi, et sur une durée définie et fixe). 

 

La machine à café : le laboratoire d’échanges

Dans certaines organisations où il est difficile de mettre le travail en discussion, où il n’y pas de temps de régulation et de débriefing, c’est à la machine à café que s’entretiennent les liens avec les collègues, les controverses, comme le dénouement de situations critiques. Si les sujets de conversation n’y manquent pas, leur teneur dépendra de la situation et de la culture de l’entreprise. 

Mais attention, il est indispensable de connaître les règles du « jeu ». Dans certains groupes ou organisations, il y a sur cet espace-temps des sujets qui fâchent, comme parfois… d’y parler boulot ! Les contrevenants se font rabrouer s’ils transgressent cette règle professionnelle invisible, ce que l’on appelle le « genre professionnel » en clinique de l’activité[5].

 

Les souris dansent…

A la pause-café collective, les sujets abordés dépendent globalement du contexte actuel de l’entreprise, autant que de la présence du manager direct ou du big one. 

Si des changements organisationnels sont en vue, ou que l’entreprise connait des difficultés structurelles ou financières rendant la situation des salariés incertaine, et si le manager n’est pas présent, les sujets de conversation tourneront autour de la stratégie et de la gouvernance de l’entreprise, ou encore des griefs sur des situations ou des pressions ressenties par les protagonistes. 

Les personnels donneront leur avis, feront des critiques et des hypothèses sur les décisions prises ou à prendre, ou encore laisseront ouvertes les vannes de la plainte ou de la critique, à l’endroit de l’employeur ou de son management, et exprimeront _ plus ou moins vertement _ des positions parfois fortes. 

Si le contexte de l’entreprise est favorable, les sujets professionnels pourront tourner autour de la sphère personnelle (le plus souvent les vacances, enfants, loisirs…), « la pluie et le beau-temps [6] » ; il pourra y être question de l’activité mais de façon plus légère, sur l’encours du moment par exemple, l’actualité des services, les projets de l’entreprise ; il sera également temps d’évoquer le programme de sa journée, les difficultés ou les blocages, les anecdotes, les idées, les pistes d’amélioration.

 

Et quand le chat est là…

« Pour 84% des salariés interrogés, la pause-café favorise aussi bien l’efficacité et le bien-être au travail que la création et le renforcement de liens sociaux[7] ». Pour le management ou les ressources humaines, le café intervient dans le sentiment d’appartenance, aussi près de 79% des salariés auraient estimé qu’il s’agit du moyen le plus efficace pour entretenir l’esprit d’équipe.

Lorsque le manager participe à la pause-café, les sujets relèvent de l’activité opérationnelle, ou de l’extra-professionnel uniquement. Les avis sur la stratégie de l’entreprise sont bien évidemment évités. 

Enfin, comme mise en images dans la série-culte « caméra-café », la pause-café devant le distributeur ou en salle de pause favorise le « décloisonnement », c’est-à-dire la facilitation des croisements et interactions entre des strates différentes de l’entreprise ; en effet selon 36% des salariés[8] cette pause se fait avec des responsables hiérarchiques. 

 

 « Tout commence avec un café [9] »

Les publicistes misent depuis longtemps sur la dimension émotionnelle du café, sa capacité réconfortante contre les petits et grands malheurs. Depuis « Pause-café[10] » les professionnels du secteur social au sens large connaissent bien le pouvoir du petit breuvage noir pour ouvrir le dialogue, et faire tomber les barrières émotionnelles. Partager un café avec un accompagné, un bénéficiaire, voire un patient, marque une pause dans l’évocation d’un vécu difficile, désamorce une situation de tension ou de mutisme, autorise de faire un pas de côté pour ne se centrer que sur l’écoute bienveillante de l’autre.

Le café est là aussi un rituel d’entrée et de clôture, qui signe l’ouverture de la relation et de la parole, comme le fait d’y mettre fin : « les accompagnements s’arrêtent toujours cinq minutes après le café ou la cigarette », (Charlotte[11], travailleur social en insertion). Il est aussi un rituel entre pairs, pour évacuer un excès de charge émotionnelle lors de l’entretien à caractère social ou du soin, pour « tenir le coup[12] », assumer le cas suivant, ou se recentrer.

 

Réorganiser la vie au travail

C’est ce qu’évoquait le 1er ministre ce 28 avril dernier, le travail, l’activité doit pouvoir être aménagé(e) pour respecter les règles de sécurité à l’intérieur des entreprises. 

Mais alors quid du « petit-café » face aux précautions sanitaires, aux distances et aux gestes barrières ? 

De nombreuses entreprises sont encore réticentes en cette période de post-confinement, alors que le ministère du travail a souligné le caractère indispensable de la réouverture des salles de pause et de convivialité, comprenant l’utilisation des distributeurs de café et boissons chaudes. La pause-café est d’ailleurs, dans le discours institutionnel, replacée « comme contribuant au confort des salariés », moyennant des conditions d’hygiène optimales, évidemment. La Médecine du travail s’est également déclarée favorable à « l’accès aux distributeurs de boissons ». 

Alors il faudra nous adapter, à des pauses plus courtes, au principe du roulement _ pour laisser la place aux autres collègues _ car un nombre restreint de personnes pourront profiter de cette coupure en même temps. 

Pour le moment, les salariés sont invités à préférer le « work take away », qui consiste à prendre son café à la machine pour le boire à son poste de travail, ou de respecter la distanciation sociale pendant la pause, matérialisée par un marquage au sol[13]. Evidemment, nous perdrons en spontanéité, en « bruits » et confidences, en informations informelles glanées, en décloisonnement libre et aléatoire… Une situation que nous espérons transitoire.

 

Mettre à disposition voire offrir du café, en entreprise ou à l’extérieur, est une pratique à remettre en place et préserver, même si le temps est à l’effort collectif à distance, et aux gestes-barrière. 

Le café au travail, en entreprise, un petit geste mais grand symbole, de reconnaissance et considération, sera tout particulièrement apprécié à la suite de la période difficile que nous avons traversée, pour nous réconforter, recréer du lien et « dynamiser la reprise d’activité ».

 

---- Marie-Christine Abatte ----

Psychologue du travail - consultante, formatrice & thérapeute

 


 

[1]Marc Loriol, sociologue au CNRS et spécialiste du stress au travail : https://www.la-croix.com/Economie/Economie-et-entreprises/pause-cafe-temps-decompression-pas-recreation-2019-11-04-1201058314

[2] Article L3121-33 du code du travail

[3] file:///C:/Users/chris/Downloads/263-820-1-PB%20(1).pdf

[4] Yves ClotArnaud Stimec « Le dialogue a une vertu mutative », les apports de la clinique de l'activité - Dans Négociations 2013/1 (n° 19).

[5] Le « genre », approfondi par les travaux d’Yves Clôt est une « mémoire impersonnelle et collective ».  Elle permet au professionnel d’appréhender les « manières de se tenir, manières de s'adresser, manières de commencer une activité et de la finir […] un répertoire d'actes convenus ou déplacés que l'histoire de ce milieu a retenu, […] un prêt à agir » (Clôt et al., 2000). Dans mémoire de fin de cycle M-Christine Abatte Cnam 2015.

[6] Selon une enquête Lavazza, étude de 2018

[7] Etude IFOP réalisée en 2014, Nespresso sur l’impact sociétal de la pause-café dans les entreprises françaises.

[8]  Enquête IFOP

[9] Publicité Nescafé ‘’It all starts with a Nescafé’

[10] Pause-café », une série télévisée avec Véronique Jeannot qui interprète Joëlle Mazart, une assistante sociale, en 1980 : Dans le synopsis de la série télévisée, c’est par cette pratique révolutionnaire à l’époque _ qui s’est largement répandue dans tous le champ social _ qu’une jeune femme commence sa carrière d'assistante sociale dans un grand lycée d'enseignement général ; elle y gagne la confiance des élèves en les accueillant dans son bureau autour d'une tasse de café. Mais elle entre aussi rapidement en conflit avec le proviseur du lycée, à cause de ses méthodes trop révolutionnaires et trop permissives à son gout. Source : Wikipedia.

[11] Intervention en centre social auprès de conseillers en insertion socioprofessionnelle 2013-2014 – Mémoire de fin de cycle.

[12] Olivier Chambon, Laurent Huguelit « Le Chamane & le Psy : Un dialogue entre deux mondes, Mama éditions 2011.

[13] Source maxicoffee.com

Signature de M-Christine Abatte