Le pli du psy

EMPLOIS, MÉTIERS… VULNÉRABILITÉS CROISÉES DE L’APRES COVID-19

Le dé-confinement est en route depuis le 11 mai, les professionnels des métiers « non-essentiels » retournent pour beaucoup sur leur lieu de travail. Mais si le retour à une forme de normalité sera progressif et prudent, il subsiste encore pour beaucoup des flottements et des incertitudes. 

L’ensemble des secteurs économiques a été heurté, et le dégel de l’activité laisse apparaître peu à peu un certain nombre de vulnérabilités sur l’emploi, le travail, ou les conditions de celui-ci. 

Je vous recommande la lecture de l’excellent article de Jean Flamand, Cécile Jolly, et Martin Rey du département « Travail, Emploi, Compétences[1] », sur l’impact de la période de confinement et post-confinement sur les métiers, et leurs risques associés. 

Il est question de risques et de vulnérabilités, économiques, financières, professionnelles et sanitaires, certaines anciennes, d’autres liées, accélérées ou provoquées par la crise du Covid-19, un rapport extrêmement riche et complet dont je vous propose la synthèse.

 

Des professionnels déjà fragiles

S’il existait des professionnels en situation de fragilité, opérant sur des secteurs économiques tendus ou en difficulté, des pratiquants du télétravail réguliers ou occasionnels, des personnels aux conditions de travail pénibles, en surcharge, voire pour certains en situation de burn-out… la crise du Covid a fait évoluer les lignes : alors que certains professionnels se sont vus contraints de s’arrêter, d’autres ont été précipités dans une intense activité physique et charge mentale, exponentielle et prolongée. 

Parmi les vulnérabilités mises en lumière par cet article, les plus flagrantes sont bien évidemment les métiers de première ligne, à savoir les soignants, les métiers de la distribution, de la propreté, de l’éducation… L’article souligne la vulnérabilité évidemment sanitaire de ces professionnels _ de par le contact direct avec le public _ mais aussi par rapport à l’intensification du travail sur la période, le stress et la charge émotionnelle, pour des professionnels déjà à risque ergonomique et/ou psycho-social élevé avant la crise sanitaire.

 

Nouvelles vulnérabilités

Pour d’autres catégories de travailleurs, eux-aussi précédemment fragiles avant la crise, leur vulnérabilité s’est accrue _ spécifiquement pour les professionnels en contrat court ou intérimaire, les secteurs du bâtiment difficilement compatibles avec le télétravail, les artisans et auto-entrepreneurs, et les travailleurs de certains secteurs de l’industrie encore immobilisés ou empêchés. 

La crise du Covid, impacte également les 4.3 millions de professionnels de la culture et du spectacle, du sport, et de tout le pan de l’hôtellerie-restauration-tourisme ; tous ces métiers du contact direct avec le public ont des activités encore à l’arrêt ou interdites. Pour ces métiers, les vulnérabilités financières se combinent aux craintes durables sur l’avenir.

 

Télétravailleurs et inactifs partiels

Moins visibles sont les vulnérabilités des télétravailleurs, professions intermédiaires ou cadres qui représentent 3.9 millions d’emplois : Ces professionnels _ habitués ou non au télétravail avant le confinement _ ont un risque naturel à l’hyper-connectivité, risque insidieux qui s’est accru en période de confinement, un risque lui-même majoré par le cumul avec la charge de la vie familiale.

Enfin il demeure des incertitudes pour 4 millions d’emplois en situation d’inactivité partielle, et bien qu’ils soient protégés du licenciement par leur contrat en cours, ils demeurent inquiets pour le devenir de leur situation à moyen terme. Ce sont en majorité des employés qualifiés, dont l’activité est peu compatible avec le télétravail.

 

Vulnérabilités sexuées

L’article fait un zoom sur l’impact de l’épisode sanitaire en fonction du sexe des professionnels : La crise frappe de nombreuses femmes au travail. Pour elles, les risques sont autant physiques, que psycho-sociaux ou émotionnels, car de surcroît liés au croisement des vies familiales et professionnelles. En effet, les femmes sont très fortement représentées dans les métiers de première ligne durant la crise sanitaire _ les métiers de caissiers, d’employés de libre-service, de personnels d’entretien, mais aussi dans les métiers administratifs _ comme les employés administratifs de la fonction publique. 

De même les femmes sont très majoritaires dans les métiers dits du « care » _ du soin aux personnes _ les infirmiers et sages-femmes, les aides-soignants, les aides à domicile et les assistants maternels, les enseignants.

Autre point commun de ces métiers, en plus de leur féminisation, le sentiment de manque de reconnaissance[2] dans le travail, un manque délétère qui se cumule aux vulnérabilités déjà énoncées, et antérieures à la crise sanitaire. 

La vulnérabilité plus économique qui découle de la crise ciblerait, elle, davantage les hommes. En effet, les hommes sont surreprésentés dans les métiers les plus affectés par le ralentissement ou l’arrêt de l’activité : c’est ainsi le cas pour certains ouvriers de l’industrie (métallurgie, process), de l'hôtellerie-restauration (cuisiniers), de la construction (ouvriers du bâtiment) ou encore de la maintenance.

 

Post-crise : vers une transformation du travail ?

Il est vraisemblable que les adaptations du travail et de l’activité mises en place dans l’urgence, se prolongeront par des transformations organisationnelles plus profondes et durables_ notamment par l’innovation, l’usage du numérique, l’hygiène et la sécurité_ en vue de pallier d’autres éventuels épisodes de crise _ qu’ils soient sanitaires ou non _ à venir. Ces transformations imposeront de nouveaux modes de collaboration et d’organisation du travail.

Aucun secteur économique ne sort indemne de la pandémie. Les entreprises vont demander encore beaucoup d’efforts aux salariés pour « remonter la pente » et s’adapter, un effort coûteux, avec un risque potentiel de saturation, physique et émotionnelle, pour des salariés déjà hyper sollicités pour certains, et fragilisés pour d’autres. 

Ces derniers courent le risque, pour sauver leur emploi, leur secteur, leur entreprise, de s’investir au-delà de leurs capacités physiques et psychiques, et se mettre en danger. 

Si les réorganisations dans les entreprises, après le confinement, sont inévitables, elles devront tenir compte des nouvelles conditions de travail engendrées par la crise (fatigue physique et émotionnelle, surcroît d’activité lié aux mesures sanitaires à appliquer, travail dans l’urgence ou accroissement des rythmes, risques d’erreur ou d’accident…). Elles devront utiliser différemment les ressources des salariés, notamment le retour sur leur vécu, sur la réalité de l’activité et ses aléas, leurs propositions _ en substance _ leur intelligence pratique au travail. 

 

Si le travail a été dégradé durablement ce premier semestre 2020, il est possible de transformer la période en une opportunité unique pour questionner le travail, ses réalités et le décalage potentiel avec les procédures formalisées. 

La connaissance des réalités du « faire » pose les salariés en experts du terrain, une ressource précieuse pour améliorer, dans une réflexion collective, le fonctionnement de l’activité, et la préservation de la santé au travail.

 

---- Marie-Christine Abatte ----

 

[1]https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-na88-metiers-corona-avril.pdf

[2] Selon l’article de France Stratégie, le salaire médian de ces métiers se situe-t-il en dessous de celui de l’ensemble des salariés à temps complet, soit 1 800 euros net par mois.

 

Signature de M-Christine Abatte